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alexandre cohen - Page 2

  • Paroles de Neutres

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    Alexandre Cohen en première ligne

    au côté de Benjamin Vallotton

     

     

     

     Benjamin Vallotton

    académie royale de langue et de littérature françaises de belgiq,edith wharton,journal des débats politiques et littéraires,belgique,alexandre cohen,benjamin vallotton,la gazette de lausanne,de telegraaf,suisse,pays-bas,guerre 14-18En plein premier conflit mondial, un chroniqueur anonyme du Journal des débats politiques et littéraires se penche sur deux auteurs qui, dans la presse de pays neutres, condamnent sans détour les agissements des Allemands : l’écrivain suisse Benjamin Vallotton (1877-1962) et le publiciste d’origine hollandaise Alexandre Cohen (1864-1961). L’un et l’autre se sont rendus à plusieurs reprises sur les lieux dévastés par les armées de l’Empereur Guillaume II. Après avoir cité quelques propos sans ambiguïté du premier sur les déprédations allemandes, le journaliste transcrit des phrases furibondes du second, qui ne relèvent en rien du compte rendu nuancé. Il faut dire que Cohen, devenu Français en 1907 (il vivait alors au 44, rue Joseph-de-Maistre ou déjà au 9, rue de l’Orient, aujourd’hui rue de l’Armée d’Orient, soit à deux pas de son ancienne adresse, rue Lepic, où la police l’avait arrêté fin 1893, et, fidèle au quartier, devait s’installer en 1909 au numéro 4 de l’impasse Girardon) après avoir réclamé sa naturalisation durant près de vingt ans, se montrait plus virulent encore que nombre de propagandistes. En 1914, à quelques semaines de son cinquantième anniversaire, il revêtait l’uniforme et rejoignait son affectation, mais en raison de son âge, les autorités militaires jugèrent plus utile de le voir défendre les intérêts de la France dans les colonnes du grand quotidien hollandais de l’époque, De Telegraaf, que de l’envoyer au combat. Le chroniqueur du Journal des débats politiques et littéraires a tout à fait raison quand il écrit que le Frison de naissance ressentait « personnellement chaque atteinte soufferte par la France » et que, pour lui, l’Allemand n’était « rien moins que l’ ‘‘ennemi du genre humain’’ » ; l’antigermanisme de Cohen remontait à une période antérieure à ses démêlés, en tant qu’anarchiste, avec les sociaux-démocrates allemands : dans ses jeunes années, un séjour en Prusse avait « suffit à nourrir sa haine contre l’Allemagne autoritaire, une haine qui dura toute sa vie. » (source) En revanche, la personne qui a signé ce académie royale de langue et de littérature françaises de belgiq,edith wharton,journal des débats politiques et littéraires,belgique,alexandre cohen,benjamin vallotton,la gazette de lausanne,de telegraaf,suisse,pays-bas,guerre 14-18papier se trompe donc en affirmant que Cohen était « un citoyen du monde » et un Neutre. Si le publiciste a entre autres vécu dans les Indes néerlandaises, en Belgique et en Angleterre, s’il parlait plusieurs langues, il s’est avant tout senti de France, ceci depuis sa plus tendre enfance pourrait-on dire et la fascination qu’il a alors éprouvée pour Napoléon Ier. Un atta- chement qui le conduira peu à peu à se rallier à l’idéal royaliste.

    A. Cohen en uniforme, 1914

    On peut lire quelques-uns de ses écrits portant sur la guerre 1914-1918 dans deux recueils d’articles : Uitingen van een reactionnair (1896-1926) et Uiterst rechts. Quant à ses mémoires, ils offrent de très vivantes et vibrantes évocations de cette période.

    (D. C.)

     

     

     

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    Paroles de Neutres

     

    À propos des dévastations allemandes en France

     

     

    Des écrivains étrangers ont visité ces régions françaises dévastées par la barbarie allemande et que chacun appelle à présent le « pays de la mort ». Les impressions qu’ils ont écrites ne sauraient passer inaperçues. On a cité déjà certaines pages télégraphiées aux journaux d’Amérique, entre lesquelles le saisissant récit de Mme Edith Wharton. Voici que parle à son tour un écrivain suisse dont le caractère est estimé autant que le talent. C’est dans la Gazette de Lausanne que M. Benjamin Vallotton  rapporte ce qu’il a vu des villages libérés*. Les crimes allemands, depuis le début de la guerre, ont indigné sans cesse sa conscience. Il n’avait pas imaginé, toutefois, que les Barbares fussent capables de ces abominations dont le spectacle infernal s’est offert à ses regards… Et il dit : « Qui donc pourrait se réjouir à l’idée qu’un grand peuple qui a tant donné à l’humanité s’en retranche brutalement, se livre aux malédictions du monde ? »

    Ce neutre, dans le cimetière allemand qu’il visitait près de Trosly-Loire, aurait voulu s’incliner devant les tombes, murmurer une prière. Il n’a pas pu. C’est que, de ce cimetière magnifiquement, orgueilleusement situé, il découvrait toute la vallée dévastée, et, de colline en colline, les arbres assassinés, les villages anéantis. Ce chrétien n’a pu saluer les morts, ni prier. « On ne peut pas, écrit-il, et on s’éloigne bouleversé… »

     

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    M. Benjamin Vallotton a visité ensuite le château de Coucy. Il rappelle cette parole d’avant-guerre, dite par l’empereur Guillaume à un Français : « Vous avez en France une merveille entre tant de merveilles, le château de Coucy… » ; il évoque ce qu’était l’incomparable monument d’art et d’histoire, là où il n’y a plus qu’un champ de ruines.

    La haine monte au cœur le plus religieux. Cependant les Allemands se demandent toujours : « Pourquoi ne nous aime-t-on pas ? »

    Si, de Suisse, l’on va en Hollande, les journaux, là aussi, portent témoignage contre les bandits. M. Alexandre Cohen, correspondant du Telegraaf d’Amsterdam, dit ses impressions avec une véhémence expressive où se manifeste l’indignation, la révolte d’un intellectuel plein d’indépendance et de droite raison, d’un citoyen du monde qui ressent personnellement chaque atteinte soufferte par la France, et pour qui l’Allemand n’est rien moins que l’ « ennemi du genre humain ». M. Alexandre Cohen montre tous les traits de ce banditisme systématique par quoi « les porteurs de Kultur, de torches et d’ordures » se sont à jamais déshonorés. Et qui pourrait, dit-il, penser aujourd’hui à la paix « dans ce paysage de mort où le Boche n’a laissé pierre sur pierre, ni le moindre arbrisseau sur sa racine, et où monte encore, de mille pauvres maisonnettes, vers le ciel passif et vide, la lourde fumée… »

    Tombe de soldats français à Trosly-Loire

    érigée par des soldats allemands

    académie royale de langue et de littérature françaises de belgiq,edith wharton,journal des débats politiques et littéraires,belgique,alexandre cohen,benjamin vallotton,la gazette de lausanne,de telegraaf,suisse,pays-bas,guerre 14-18Comme M. Benjamin Vallotton, M. Alexandre Cohen a vu, de son côte, un cimetière allemand. « Rien, dit-il, sinon leur hideur, n’égale l’impudence des Denkmaeler consacrés ici par les pandours à la mémoire de leurs kamerades pillards, incendiaires et assassins. Ces aigles stupides, croix de fer au bec, ces grotesques lions à prétentions héraldiques, ces ridicules portiques, ces Gretchen larmoyantes, ces hypocrites devises : ‘‘Freund und Feind im Tod vereint (ami et ennemi unis dans la mort)’’, autant d’offenses à la population française qui, après avoir été humiliée, terrorisée, ruinée pendant deux ans et demi par les Kulturtraeger, devra encore, durant des années, apercevoir ces souvenirs de leur passsage… » Mais aussi « ces cimetières allemands sont pour les Français des mémentos d’une incomparable éloquence ».

    Et M. Cohen se réjouit d’avoir, parmi les ruines, rencontré les vengeurs, les soldats de France, « empreints de cette noblesse que la lutte pour leur âtre et leur feu confère à chaque combattant ».

     

    X, Journal des débats politiques et littéraires

    10 mai 1917, p. 3

     

     

    académie royale de langue et de littérature françaises de belgiq,edith wharton,journal des débats politiques et littéraires,belgique,alexandre cohen,benjamin vallotton,la gazette de lausanne,de telegraaf,suisse,pays-bas,guerre 14-18* Nous avons cherché en vain les passages cités dans les archives en ligne de ce quotidien suisse. En cette année 1917, Benjamin Vallotton préfaçait un témoignage poignant : Paul Calamé, À travers les ruines de la Belgique. Quinze jours sur les bords de l'Yser (1917), initiative sinscrivant dans la droite ligne de ses chroniques publiées par La Gazette de Lausanne dès janvier 1915, à la demande du directeur Édouard Secretan, dont certaines ont été regroupées sous les titres À travers la France en guerre. Souvenirs dAlsace (1915) et Au pays de la mort (1918). Le romancier s’est par ailleurs employé, au sein de divers groupements et associations, à venir en aide aux soldats et aux populations touchées dans leur chair, les Alsaciens lui tenant particulièrement à cœur.

    Notons enfin que l’écrivain vaudois s’est exprimé sur ses confrères flamands d’expression française dans son discours de réception, en tant que membre étranger, à l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique.

     

     

     

  • Bagarre en pantoufles

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    Un épisode de la vie d’Alexandre Cohen

     

    Alexander Cohen - Leeuwarden.jpg

    Entre anarchie et monarchie

     

    Le cent cinquantième anniversaire de la naissance d’Alexandre Cohen approche. Il est né le 27 septembre 1864 à Leeuwarden. La ville frisonne – qui devrait être capitale européenne de la culture en 2018 – a d’ailleurs accueilli le dimanche 16 mars, dans les bâtiments de l’Historisch Centrum, Ronald Spoor. Ce dernier a tenu une conférence sur la place de cette cité dans la vie de l’éternel rebelle. Les personnes présentes ont par ailleurs pu entendre le seul enregistrement radiophonique connu de l’anarchiste hollandais devenu monarchiste français, et par la même occasion la voix de Kaya Batut (1871-1959), sa femme, qui s’exprimait dans un néerlandais parfait. Le nonagénaire et l’octogénaire ont été interviewés à Toulon – Clos du Hérisson, Chemin de Moneiret, Les Routes – le 14 mai 1957 par Johan van Minnen pour le Regionale Omroep Noord.

    A. Cohen en 1894

    alexandre cohen,la justice,nice,anarchisme,clemenceau,leeuwardenFlandres-hollande profite de cet anniversaire pour mettre en ligne quelques proses de Cohen ainsi que des textes portant sur l’homme et sa carrière de publiciste. Pour commencer, un article oublié relatant un épisode survenu début 1891 à Nice. Il s’agit certes d’un papier qui relève de lanecdote ; toutefois, il met en relief certaines caractéristiques du personnage. On constate que trois ans après son arrivée en France, le fougueux anarchiste a su tisser un réseau dans les milieux de la presse de la libre pensée. Cela lui permet de faire connaître son indignation devant l’injustice qu’il subit. Il saura par la suite utiliser ses confrères pour obtenir gain de cause comme en 1905 quand, grâce à une campagne de presse menée tambour battant, il parviendra à faire libérer Domela Nieuwenhuis, détenu en Allemagne. L’article que nous reproduisons fournit par ailleurs une nouvelle preuve de la nature belliqueuse de Cohen : malgré son petit gabarit, il aime le duel et ne rechigne pas à distribuer ou recevoir des coups de poing. N’écrit-il pas, par exemple, à Zo d’Axa – depuis Londres où il est exilé – le 19 février 1895 : « Hier soir, j’ai été en expédition guerrière. Je suis allé trouver, accompagné d’un ami, un salop de socialiste anonyme qui dans un journal du ‘‘parti’’ allemand avait écrit : 1º que j’étais un mouchard et un agent provocateur, 2º que je n’avais jamais été expulsé de France ; 3º que j’avais dénoncé un club ; 4º que, dans un journal parisien, j’avais écrit que l’acte de Caserio avait été comploté, devinez où ?... à  Grafton Hall. Etc. etc. J’ai découvert le bonhomme et son domicile et il y a eu un combat assez musclé dont, verbalement, je vous dirai les péripéties. » (d’après la copie de la lettre retrouvée par Ronald Spoor à l’IISG)

    alexandre cohen,la justice,nice,anarchisme,clemenceau,leeuwardenDans ses mémoires, Cohen garde le silence sur les semaines qu’il a passées à proximité de la Promenade des Anglais. Le chapitre 11 de Van anarchist tot monarchist (1936) revient uniquement, en quelques mots, sur le médecin niçois qui l’a traité pour une légère affectation pulmonaire (lichte long-aandoening). Peut-être trouvera-t-on une allusion à ses démêlés avec la police locale dans l’un de ses nombreux articles. À l’âge de 95 ans, A. Cohen vivra à Nice non plus un épisode ubuesque, mais bien l’un des grands drames de sa vie : c’est en effet dans cette ville qu’il enterre son épouse, décédée à la suite d’une chute alors que le couple séjournait chez une nièce de Kaya.

    Signé par un certain V. J., l’article « Il y a des juges à Nice » a paru le 14 juillet 1891 dans La Justice, organe dirigé par Georges Clemenceau et ayant comme rédacteur en chef Camille Pelletan (1846-1915). Cette date estivale laisse supposer que l’histoire de la mésaventure survenue à Cohen quatre ou cinq mois plus tôt a un peu servi de bouche-trou en une période où, beaucoup de journalistes profitant des vacances, la copie se faisait rareCe même journal radical devait reparler du Hollandais un an et demi plus tard, à propos d’une affaire beaucoup plus marquante : « ‘‘Les expulsions d’anarchistes. À Paris, l’arrestation de Cohen’’. Le nommé Cohen, anarchiste hollandais, a été arrêté dimanche, à son domicile, 59, rue Lepic, dans les circonstances suivantes : Cohen, très connu dans les milieux anarchistes, collaborait à divers journaux, tels que le Père Peinard, l’En-Dehors, etc. Il avait été expulsé de Belgique et était venu se fixer à Paris ; il habitait rue Lepic depuis un an environ, avec une jeune femme.

    « Quels étaient ses moyens d’existence ? On l’ignore. Les journaux où il écrivait ne pouvaient le faire vivre. Il était en correspondance suivie avec de nombreux anarchistes de l’étranger, et passait la plupart de ses journées chez lui, occupé à lire et à écrire. La nuit, il recevait isolément, on par petits groupes, des compagnons. Cette circonstance lui avait même suscité quelques désagréments de la part de son concierge, furieux d’être obligé de tirer le cordon cinq ou six fois, dans la nuit, par suite des allées et venues de son locataire et de ses visiteurs. 

    « Cohen avait un loyer de 230 francs, qu’il payait très exactement. Le logement qu’il occupait au sixième étage est très sommairement meublé : le strict indispensable.

     

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    Rue Lepic, vers 1900, en direction du n° 59

    « Cohen est jeune encore. Il était fort peu communicatif, ne parlait à personne, très poli d’ailleurs.

    « Il est de petite taille et d’aspect chétif. Il porte un collier de barbe blonde. Vêtu d’habits très simples, élimés, et d’un pardessus à capuchon, coiffé d’un feutra mou, un lorgnon sur le nez, il présente un type dont le développement du mouvement anarchiste semble avoir multiplié à Paris les spécimens.

    « Il était sept heures du matin quand les agents frappèrent à la porte de sou domicile. Cohen, qui se savait surveillé, n’aurait certainement pas ouvert si, à sa question : ‘‘Qui est là ?’’ un des agents n’avait répondu : ‘‘C’est le facteur.’’

    « Cohen ouvrit sans défiance et fut aussitôt appréhendé. Il a été immédiatement emmené au Dépôt avec sa femme, qui a été remise en liberté dans la soirée.

    « Hier soir, un arrêté d’expulsion ayant été pris contre lui, il a été conduit à la frontière belge. » (La Justice, 13 décembre 1893, p. 2-3)

    Le lendemain, sous le titre « Alexandre Cohen », le même quotidien publiait un rectificatif en empruntant un papier au Figaro. Là encore, on relève toutefois quelques petites erreurs factuelles ; on constate par ailleurs que le jeune hollandais s’était empressé de faire jouer ses appuis qui s’efforcent de le dédouaner des accusations d’anarchisme : « […] Alexandre Cohen, que l’on a arrêté dimanche à son domicile, rue Lepic, n’est pas un inconnu pour la presse.

    « Âgé de vingt-huit ans environ, il est depuis trois ans à Paris. Il vint en France pour éviter de purger une condamnation à trois ans de prison qu’il avait encourue pour délit de presse à Amsterdam.

    « Il a appartenu à l’armée coloniale néerlandaise. À Sumatra et à Java, des actes d’insubordination le firent condamner à deux ans de prison. Il accomplit cette peine à Java.

    « Il faut reconnaître que, depuis qu’il est en France, il s’est surtout occupé de journalisme et de littérature. 

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    La Justice, 14 décembre 1893

    « Très instruit, possédant à fond plusieurs langues, il a collaboré à toutes les jeunes revues parisiennes. Il a publié des traductions hollandaises et allemandes des œuvres de Zola, des traductions françaises de Multatuli. C’est lui qui a traduit la pièce de Hauptmann : Âmes solitaires*, que 1’ ‘‘Œuvre’’ doit représenter demain mercredi.

    « Il n’a jamais été, comme on l’a dit, collaborateur du journal l’En dehors, ni du Père Peinard. Il n’était pas davantage le correspondant de journaux allemands, mais bien du journal socialiste hollandais dirigé par Domela Nieuvenhuis.

    « Alexandre Cohen fréquentait peu les anarchistes, mais était lié, en revanche, avec beaucoup de jeunes littérateurs. Il avait demandé dernièrement ses lettres de naturalisation et était admis à domicile.

    « Ajoutons que M. Alexandre Cohen n’a pas été expulsé, comme on l’avait annoncé.

    « Un journal du soir l’ayant accusé d’être un espion de l’étranger, ses amis protestent avec énergie. Ils citent de nombreuses références : M. Georges Street, secrétaire du Matin, où M. Cohen a été rédacteur, le groupe littéraire du Mercure de France, les Entretiens politiques et littéraires, la direction du théâtre l’Œuvre, le Figaro, etc., etc.

    « Les amis de M. Cohen affirment, en outre, qu’il n’a jamais fait à aucune tribune profession de foi anarchiste.’’ » (La Justice, 14 décembre 1893, p. 2). Ces articles correspondent au début de la période où le nom Alexandre Cohen réapparaît souvent dans les journaux, en particulier à propos du procès des Trente, de sa traduction des Âmes solitaires et de son incarcération aux Pays-Bas après son exil londonien. Une fois tiré d’affaire, il allait régulièrement apposer sa signature dans diverses revues littéraires et des quotidiens d’information français, en bas d’articles et de traductions, et ce jusque dans les années vingt du XXe siècle. (D. C.)

     

    * Ce travail de traduction a semble-t-il incité A. Cohen à devenir membre « stagiaire » de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (années 1895-1896, cf. Annuaire pour ces années, p. 342).

     

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    Alexandre et Kaya, vers 1935

     

     

     

    IL Y A DES JUGES À NICE

     

    La police et ses agents de toutes sortes sont en ce moment à l’ordre du jour. Voici un nouveau fait qui prouvera que les commissaires de police et les parquets de province ne le cèdent en rien à ceux de Paris.

    Mon Dieu ! L’affaire n’est pas bien grave, certainement. Un journaliste assommé ; les magistrats protégeant les agresseurs. Cela se voit tous les jours. Pourtant l’incident en question est agrémenté d’un luxe de détails assez caractéristique et se fait remarquer par une saveur locale assez prononcée pour être distinguée du commun.

    Le plaignant est un de nos distingués confrères de la presse étrangère, très honorablement connu à Paris et très dévoué à l’opinion républicaine.

    Nice, la Vieille ville

    alexandre cohen,la justice,nice,anarchisme,clemenceau,leeuwardenM. Alexandre Cohen, hollandais de naissance, admis à domicile en France par décret présidentiel et en instance pour obtenir sa naturalisation, est correspon- dant de journaux hollandais, belges et autrichiens.

    Des raisons de santé l’ont obligé à passer l’hiver dernier à Nice. Le 27 février, au matin, ayant été pris grossièrement à partie par un employé du Casino muni- cipal, nommé Gerbier, qui, paraît-il, l’avait, à cause de son accent étranger, pris pour un Allemand, il se disposait à envoyer des témoins à ce monsieur, quand, au moment où il venait de rentrer chez lui, un domestique du Casino se présente et lui dit que quelqu’un du Casino l’attend en bas. M. Cohen descend, sans défiance. Arrivé au bas de l’escalier, il se trouve en présence de deux individus : l’un qu’il reconnaît pour l’employé avec qui il avait eu l’altercation ; l’autre, un inconnu.

    M. Cohen, descendu en pantoufles et veston, commençait à s’excuser de sa tenue, quand les deux individus, par un mouvement tournant, se placent entre lui et l’escalier pour l’empêcher de remonter, Gerbier, l’agresseur du matin, déclare à M. Cohen qu’il est décidé à vider à l’instant la querelle du Casino et qu’à cet effet il a amené une voiture pour les conduire tous les deux à la campagne. M. Cohen lui ayant répondu qu’une telle proposition était inacceptable et que le soir même deux de ses amis se mettraient à la disposition de son adversaire pour arrêter les conditions d’une rencontre, Gerbier appelle alors un troisième individu resté dehors, ancien tambour-major de l’armée papale, actuellement valet de pied au Casino, et crie à ce dernier : « Empoignez-le. » 

    Camille Pelletan, par Gill
    alexandre cohen,la justice,nice,anarchisme,clemenceau,leeuwardenTous trois aussitôt de se ruer sur M. Cohen, le serrant à la gorge et cherchant à l’entrainer vers la voiture. Aux cris de la victime, toutes les portes de la maison s’ouvrent, et des personnes du dehors pénètrent dans le vestibule. « C’est un Allemand, un sale Prussien », s’écrie un des trois agresseurs. Une dame, reconnaissant M. Cohen, intervient et reçoit un formidable coup de poing sous l’œil gauche. Ses voisins se décident alors à prendre parti et expulsent les auteurs du guet-apens.

    Le 2 mars, M. Cohen déposa une plainte entre les mains du procureur de la République.

    Le 4 mars, appelé chez le commissaire de police du quatrième arrondissement de Nice, il se voit accueilli par ce magistrat avec la dernière insolence. Ses témoins sont également traités d’une manière scandaleuse, tandis que les témoins de la partie adverse étaient écoutés avec beaucoup d’égard. S’adressant à un Italien, M. Napoléon Zanelli, établi sellier à Nice depuis dix ans, qui exposait les faits sans commentaires, le commissaire lui dit : « Encore un Italien ! Tas d’Italiens, on vous connaît. Vous persistez ? Vous savez, la frontière n’est pas loin. »

    Et comme M. Zanelli le regardait interdit : « Vous avez des yeux qui ne me plaisent pas ; je vous défends de me regarder avec des yeux menaçants, sans quoi je me charge de vous mettre à la raison. »

    Il fut impossible à M. Zanelli de faire sa déposition. À un autre témoin, M. Ravel, le commissaire dit : « Vous pouvez raconter cela au cabaret. Le bureau de police n’est pas une écurie. Vous manquez de tenue en vous tenant devant moi les jambes croisées. » Aucun des témoins de M. Cohen ne put faire intégralement sa déposition, le commissaire ne cessant de leur couper la parole, et permettant aux témoins de la partie adverse d’interrompre les premiers, de leur imposer silence et même de les insulter. Gerbier et ses amis en étaient arrivés à se croire si bien les maîtres dans le bureau de police, qu’ils ne se gênèrent plus même avec le commissaire. Comme ce dernier faisait remarquer à un témoin de Gerbier qu’il tombait sous un article du Code pénal, ledit témoin tira un carnet de sa poche, disant : « Répétez, que je note ; cela est vraiment intéressant. »

    Maison où a grandi Cohen à Leeuwarden

    alexandre cohen,la justice,nice,anarchisme,clemenceau,leeuwardenEt comme le magistrat, poussant la complaisance jusqu’à ne pas vouloir s’apercevoir de l’ironie de ces paroles, ouvrait son Code avec empressement et lisait l’article qui rendait le délinquant passible d'une amende : « J’ai ponté aujourd’hui pendant une heure sur le 17, réplique le témoin, et il n’est pas sorti une seule fois. C’est égal, ce n’est pas cher, et à ce prix-là, je voudrais bien recommencer. » Il se plut alors, retroussant ses manches, à raconter qu’à Paris, il fréquentait depuis deux ans les salles de boxe et que, depuis son arrivée à Nice, il éprouvait le désir d’exercer ses biceps. Et comme il menaçait directement M. Cohen, le commissaire de plus en plus aimable repartit : « À votre aise, il y a même une canne quelque part ici. »

    C’est invraisemblable et pourtant c’est attesté par la signature de six témoins que nous avons sous les yeux.

    Et le parquet, demanderez-vous ? J’y arrive.

    Quelques jours après cette scène – burlesque à force de cynisme – du commissariat, le procureur fil savoir au plaignant « que les faits ne lui avaient pas paru, après enquête, de nature à motiver son intervention d’office et que M. Cohen, pouvait s’il le jugeait à propos, saisir directement de ses griefs les juges compétents. »

    M. Cohen, peu affriandé par ce qu’il venait de voir, et peu soucieux de goûter de nouveau à la justice niçoise, s’en remet au public impartial pour le faire juge non point des agissements du nommé Gerbier, mais de la manière dont les magistrats s’acquittent de leur mission.

    Je ne sais s’il y a encore des juges à Berlin, mais il y en a certainement à Nice. Ils siègent en un lieu équivoque qui s’appelle le Casino de Nice et qui a pour succursales les commissariats et le parquet de cette ville.

     

    V.  J., La Justice14 juillet 1891

     

     

     

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     Nice, Jardin des Palmiers et Casino Municipal

     

     

  • Multatuli par Henry de Jouvenel

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    Nul esprit de suite…

    pas de talent…

    pas de méthode...

     

     

     

    Henry de Jouvenel

    Multatuli, Henry de Jouvenel, littérature, traduction, Alexandre Cohen, Insulinde, Pays-Bas, Max Havelaar Le 11 mai 1904, le baron Henry de Jouvenel des Ursins (1876-1935) publie en pages 1 et 2 du n° 24 de L’Humanité un papier consacré à Multatuli (1820-1887). Le futur époux de la romancière Colette, qui voyait dans le journalisme « l’occasion quotidienne de gaspiller de la noblesse », félicite au passage Alexandre Cohen – dont on célèbre cette année le cent cinquantième anniversaire de la naissance –, traducteur des Pages choisies* (1901) du grand écrivain hollandais, pages qui, selon un autre chroniqueur de l’époque, « révèlent à merveille l’esprit singulier d’Edouard Douwes Dekker » (« Chronique des Pays-Bas », Bibliothèque universelle et Revue suisse, T. 34, 1904, p. 408). En 1927, l’homme de lettres Léon Bazalgette, ami des Flamands Cyriel Buysse et Frans Masereel, estimera lui aussi « remarquable » le traducteur, non sans lui lancer une pique en raison de son rejet du bolchévisme et de tous les socialismes : il « s’est acquis, depuis la guerre, le droit à ce que nous ne prononcions plus son nom » (L’Humanité, 12 janvier 1927). À son tour, le journaliste Léon Treich (1889-1973) recommandera la lecture de ces Pages choisies (« Un multatuli,henry de jouvenel,littérature,traduction,alexandre cohen,insulinde,pays-bas,max havelaaranniversaire. Multatuli », Les Nouvelles littéraires, 12 mars 1927, p. 7) en espérant voir paraître bientôt une traduction du Max Havelaar de meilleure qualité que celle réalisée par Henri Crisafulli et Adrianus Jacobus Nieuwenhuis en 1876 (ci-contre). De fait, plusieurs verront le jour avant la plus récente que l’on doit à Philippe Noble.

    Pourquoi un article de Henry de Jouvenel en 1904 sur les Pages choisies publiées trois ans plus tôt ? En ce début de siècle, le baron occupait des fonctions au sein d’un ministère et Alexandre Cohen le connaissait. À quelques reprises, il s’est adressé à lui dans le cadre de ses démarches en vue d’obtenir un permis de séjour, procédure d’autant plus compliquée que l’ancien anarchiste ne disposait en tout et pour tout que d’une copie de son acte de naissance : « Toutes mes autres pièces d’identité m’ont été, en 1893, subtilisées par les collectionneurs de la préfecture de Police, qui n’ont jamais voulu me les restituer. » (Lettre d’A. Cohen à H. de Jouvenel, Paris, 30 juin 1903, citée dans Alexander Cohen. Brieven 1888-1961, 
éd. Ronald Spoor, Amsterdam, Prometheus, 1997, p. 288). On imagine très bien le pétulant Hollandais parlant de Multatuli à son interlocuteur et lui remettant un exemplaire de sa traduction ou du moins lui donnant lidée décrire un papier sur cet écrivain.

     

    Multatuli, Henry de Jouvenel, littérature, traduction, Alexandre Cohen, Insulinde, Pays-Bas, Max Havelaar * À ne pas confondre avec cette autre édition : Multatuli, Pages choisies, choix, présentation et traduction du néerlandais par Lode Roelandt, avec la collaboration de Alzir Hella, préface de Henry Poulaille, notice biographique de Julius Pée, Bruxelles/Paris, Labor, 1938 (réédition, Paris, Office français du livre, 1943).

     

     

     

     

    Multatuli, Henry de Jouvenel, littérature, traduction, Alexandre Cohen, Insulinde, Pays-Bas, Max Havelaar

    E. Douwes Dekker, dit Multatuli

     

     

     

    MULTATULI

     

    En 1856, les fonctionnaires de Java virent tomber au milieu d’eux un homme juste. Eduard Douwes Dekker venait d’être nommé assistant-résident dans le district de Lebak.

    - Pour ses trente-six ans, c’est un avancement convenable, disait-on autour de lui.

    Cependant Dekker n’avait pas l’air heureux. Il gardait un visage rude, des yeux gênants de fixité et son âme semblait contenir avec peine une éternelle violence.

    Ses collègues le prirent en grippe.

    L’aversion générale ne tarda point à s’exaspérer. Ne racontait-on pas que, la nuit, quand l’administration dormait sans défiance, de tous les points du district, à travers le mystère des hautes herbes, les indigènes pressurés, battus, pillés pendant la journée, rampaient vers la demeure de Dekker où ils trouvaient des paroles d’aide et des promesses de secours ?

    Un joli exemple que donnait Dekker !

    trad. E. Mousset, 1943 

    Multatuli, Henry de Jouvenel, littérature, traduction, Alexandre Cohen, Insulinde, Pays-Bas, Max Havelaar Mais où le scandale devint flagrant, ce fut lorsque l’assistant osa dénoncer au résident de Bantam les exactions quotidiennes du régent indigène. De quoi se mêlait ce gêneur ? Ne savait-il donc pas que le régent, quoique indigène, avait l’honneur de procurer des femmes au résident hollandais ? C’était là un service signalé rendu à la cause de la civilisation. Que fallait-il de plus au moraliste ?

    Bien entendu, le résident n’écouta point Dekker et comme l’obstiné, au lieu de se taire respectueusement, s’adressait au gouverneur, celui-ci l’envoya en disgrâce pour lui enseigner le respect de la hiérarchie.

    Dekker démissionna fièrement et repartit pour la Hollande, Dans les bureaux du gouvernement, à Java, on en conçut une grande joie.

    L’histoire semblait enterrée quand fut publié, au printemps de 1860, quatre ans après, un livre intitulé : Max Havelaar, qui la racontait tout au long. L’œuvre était signée Multaluli, ce qui doit signifier : « J’en ai beaucoup supporté. »

    Les mille drames de la colonisation revivaient, ressuscités au hasard des souvenirs, en ces pages décousues où défilent tour à tour, sous le vent des sarcasmes, en hâte et en désordre, prêtres sans foi, marchands sans scrupules, gouverneurs sans conscience, ministres sans savoir.

    trad. Ph. Noble, 1991

    Multatuli, Henry de Jouvenel, littérature, traduction, Alexandre Cohen, Insulinde, Pays-Bas, Max Havelaar Max Havelaar, Multaluli, tous ces pseudonymes ne pouvaient dissimuler Dekker aux esprits avertis des coloniaux. L’avant reconnu, ils pensèrent l’accabler on l’appelant ennemi de Dieu « corrupteur de la jeunesse ». Multatuli laissa dire. Alors ils lui reprochèrent, de ne pas savoir écrire.

    - Oui, oui, avoua Multaluli, le livre est baroque… nul esprit de suite… recherche d’effet… le style est mauvais, l’auteur inexpérimenté… pas de talent… pas de méthode. Bien, bien, tout cela est entendu ! Mais… le Javanais est opprimé ! »

    Et Max Havelaar finit par une menace : « Ce livre est une introduction. »

    Multatuli tint parole, écrivit beaucoup et resta toujours l’homme de son premier ouvrage.*

    C’est au spectacle de la vie coloniale que s’était formée son originalité. Là, dans ce rendez-vous de toutes les espèces humaines, les âmes se découvrent en se heurtant. Le conquérant, dévêtu de ses élégances humanitaires, perd la pudeur de son égoïsme, ne se défie plus de sa brutalité et, féroce à servir ses intérêts, domestique les peuplades qu’il avait promis d’éduquer. Plutôt que de dissiper leur ignorance, il l’utilise, se fait passer pour le détenteur de Dieu et son seul représentant sur la terre, exporte en même temps sa religion et ses marchandises, réclame du respect et des bénéfices, fait de la science un péché, répète les mensonges jusqu’à ce qu’ils soient passés en vérités, érige en dogme la supériorité originelle de certaines races dans l’humanité, de certaines familles dans les races, et appelle cela « civiliser ».

    Multatuli avait surpris à Java les secrets de cette méthode. Mais au lieu de s’en servir, il les révéla, et avec une précision, une netteté dans le détail, une furie dans le style telles, que tous les coupables se sentaient malgré eux courbés sous la vérité.

    trad. L. Roelandt, 1942

    Multatuli, Henry de Jouvenel, littérature, traduction, Alexandre Cohen, Insulinde, Pays-Bas, Max Havelaar Il faut lire dans la remarquable traduction de M. Alexandre Cohen, ces Légendes d’autorité qu’il a choisies parmi les étranges Lettres d’amour, parues en 1861. Multatuli avait rapporté d’Orient le génie des paraboles. Il en consacre une à chaque injustice, et toutes, toutes, celle qui décrit le premier agenouillement de l’homme comme celle qui raconte la naissance des dynasties, se terminent par le même refrain, aussi monotone que la routine humaine : « Et cela est resté ainsi jusqu’à ce jour. »

    Multatuli aura-t-il beaucoup contribué à  la découverte des réformes, au mouvement en avant de l’Humanité ?

    On pourrait en douter, tant il s’est défendu de toute affirmation, même dans les sept gros volumes d’Idées publiés de 1862 à 1877, avec cette épigraphe magnifique et ambitieuse : « Un semeur sortit pour semer. »

    Il craignait par-dessus tout de remplacer un mensonge par un autre et voulait rester un pur négateur. Cette intransigeance devait fausser parfois son jugement et l’induire à décourager plus d’un effort utile.

    trad. L. Roelandt, 1968

    Multatuli, Henry de Jouvenel, littérature, traduction, Alexandre Cohen, Insulinde, Pays-Bas, Max Havelaar Mais il aida tout de même à la beauté de l’avenir car il détruisit plus d’erreurs qu’il ne froissa de vérités. Et n’est-ce pas une loi de la nature que ceux qui travaillent à émonder sur le vieil arbre social le bois mort des préjugés et des abus, soient obligés, pour accomplir leur nécessaire travail, de trancher de temps à autre une jeune pousse et de meurtrir quelquefois la sève au cœur des branches nouvelles ?

     

    Henry de Jouvenel, L'Humanité, 11 mai 1904

     

     

    Dirk Coster (1887-1956) 

    Multatuli, Henry de Jouvenel, littérature, traduction, Alexandre Cohen, Insulinde, Pays-Bas, Max Havelaar * C’est plus généralement contre l’esprit de son temps et la médiocrité de la littérature de son pays que s’est élevé l’écrivain : « Multatuli, avait eu le courage et la hardiesse de dénoncer cette folie collective de rhétorique qui empoisonnait la littérature néerlandaise à cette époque. Il cria son réquisitoire sur tous les toits et à travers toutes les plaines de la Hollande, s’acharnant à démasquer la bourgeoisie qui étouffait toutes les âmes libres et cherchait à les anéantir, – que ce soit aux Indes Néerlandaises ou dans la métropole ; il claironna ses sarcasmes sur la ‘‘chinoiserie’’ de la littérature ; il défendit passionnément le droit des âmes à s’épanouir, et celui des cerveaux à penser. Une grande célébrité et une vie misérable furent sa récompense et son lot. » (Dirk Coster, L’Art libre, déc. 1920, p. 216)

     

     

    documentaire en néerlandais (2008)

     

     

  • Nouvelles d’Anarchie

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    Alexandre Cohen dans De As


     

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    A. Cohen, gravure sur bois de Georges Rohner


    En septembre 2011, la revue anarchiste néerlandaise De As consacrait un numéro à Alexandre Cohen. En voici le sommaire :

     

    Martin Smit, « Een Fransman uit Friesland : Alexander Cohen » (Un Français de Frise : Alexandre Cohen), p. 1-2.

    Ronald Spoor, « Alexander Cohen. Een portret » (Alexandre Cohen. Un portrait »), p. 3-7. [lire ici en français]

    Alexander Cohen, « Weg met Gorilla ! » (article d’A. Cohen publié en première page du journal de Ferdinand Domela Nieuwenhuis Recht voor Allen le 14 novembre 1887 ; il s’agit du texte de la défense qu’il présenta devant ses juges alors qu’il était poursuivi pour avoir insulté la personne du roi Guillaume III), p. 8-11.

    anarchisme, de as, alexandre cohen, domela nieuwenhuis, félix fénéon, action française, ronald spoor, martin smitRonald Spoor, « De straatlucht van Multatuli. Alexander Cohen et Multa- tuli » (Sur la formation d’autodidacte de Cohen, l’influence que l’œuvre de Multatuli exerça sur lui ; sur le rôle joué par l’anarchiste dans la diffusion des œuvres de Multatuli en Allemagne, en Flandre et en France), p. 12-28.

    Alexander Cohen, « Brief aan Wilhelm Spohr over Multatuli » (« Lettre à Wilhelm Spohr sur Multatuli », original allemand avec traduction néerlandaise), p. 29-31.

    Ronald Spoor, « Geen spotblad, maar een bijtblad. De Paradox (1897-1898) van Alexander Cohen » (Sur le périodique satirique mordant que le polémiste Cohen a publié aux Pays-Bas en 1897-1898), p. 32-36.

    Ronald Spoor, « Zeg maar, dat ik in Vladivostok zit. Alexander Cohen en zijn internationale literaire en politieke contacten » (Sur le réseau d’amis et de connaissances que Cohen se créa dans le monde des lettres et de la politique en Allemagne, en Angleterre, en France et aux Pays-Bas), p. 37-51.

    anarchisme,de as,alexandre cohen,domela nieuwenhuis,félix fénéon,action française,ronald spoor,martin smitAlexander Cohen, « Brief aan Félix Fénéon » (Lettre de Cohen à son ami Félix Fénéon du 2 août 1896, traduction néerlandaise d’un original en français inédit), p. 52-54.

    Simon Carmiggelt, « Rebbel » (recension par le célèbre chroniqueur néerlandais de : Alexander Cohen, Een anderdenkende, anthologie publiée et présentée par Max Nord en 1959), p. 55-56.

    Martin Smit, « Zoeken naar het paradijs. Alexander Cohen en de Action française » (tentative d’explication du parcours de Cohen de l’anarchisme au monarchisme de l’Action française), p. 57-65

    Albert de Jong, « Op bezoek bij Alexander en Kaya » (l’anarcho-syndicaliste Albert de Jong rend hommage à Cohen lors de sa mort en 1961 en se remémorant la visite qu’il lui a rendue en 1954 à Toulon), p. 66-68.

    Rudolf de Jong, « Bij Alexander en Kaya » (bref compte rendu du passage de Rudolf, fils d’Albert de Jong, chez Alexandre et sa compagne Kaya dans les années cinquante), p. 69.

     

    CouvDeAs177-178.pngLe numéro 177-178 (printemps-été 2012) de la même revue contient un autre article de Ronald Spoor : « Een Parijse persrel uit 1911. De zaak Alexander Cohen – Hankes Drielsma » (Sur une querelle entre Alexandre Cohen et son confrère Hankes Drielsma qui a secoué les microcosmes journalistiques parisien et hollandais en 1911), p. 39-48.

     

    Autre publication incontournable dans le domaine de l’histoire du mouvement anarchiste néerlandais, la deuxième biographie de Ferdinand Domela Nieuwenhuis : Jan Willem Stutje, Ferdinand Domela Nieuwenhuis. Een romantische revolutionair, Houtekiet, mai 2012, 552 p.

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    L’esprit de Domela Nieuwenhuis - documentaire (néerlandais/frison) 


     

  • Alexandre Cohen : les années anarchistes (6)

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    Alexandre Cohen

    les années anarchistes (6)

     

    La répression de l’anarchisme

    en France et aux Pays-Bas

     

    Après un long intermède, Alexandre Cohen va donc renouer avec les joies de la prison. La France traverse à cette époque la trop fameuse période des attentats anarchistes, événements qui ont définitivement estampillé le mouvement libertaire d’une marque diabolique. Si Cohen n’a rien à voir avec ces tentatives criminelles, il fréquente bien quelques artisans de la dynamite et ne cache pas sa joie de voir le sang des bourgeois couler : « Je trouve l’attentat de Barcelone des plus superbes. Les bourgeois sont terrorisés. » (98) Il est par ailleurs partisan à 100% de la propagande par le fait « partout où la masse est assoupie et indolente ». (99) Mais l’attentat commis le 9 décembre 1893 à la Chambre des députés, si inoffensif fut-il, marque un tournant dans l’histoire de l’anarchisme et entraîne par là même un bouleversement dans la vie de nombreux fidèles, en particulier dans celle de Cohen. Cet acte constitue avec le meurtre du Président Carnot le paroxysme de ces années au cours desquelles « les anarchistes répandirent en France une véritable terreur qui obligea à créer une législation spéciale et nécessita une réponse particulièrement rigoureuse ». (100) Toucher au Palais Bourbon comme l’avait fait Vaillant, c’était viser la jeune République à la tête et dans son symbole, c’était s’en prendre directement et physiquement à la représentation populaire. L’intolérable ne pouvait être toléré. « L’attentat perpétré contre les parlementaires eux-mêmes amena ceux-ci à voter une série de lois de circonstance destinées à réprimer les menées anarchistes et que ceux qu’elles visaient baptisèrent aussitôt lois scélérates. Le 12 décembre 1893 on avait modifié les articles 24, 25 et 49 de la loi sur la presse touchant la provocation aux crimes et la provocation des soldats à la désobéissance. On avait le 18 décembre suivant renforcé les articles 265, 266 et 267 du Code pénal sur l’association de malfaiteurs, et modifié la loi sur les détentions d’explosifs et le 19 décembre augmenté de 820.000 francs le crédit affecté à la police. Le Sénat avait rapidement ratifié toutes ces mesures. » (101)

     

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    Procès des Trente
     

    Et tandis que les députés, affublés de sparadrap, se pressent de blinder les textes législatifs, les policiers ne restent pas les bras croisés. Entre le 10 décembre et le 2 janvier, ils arrêtent environ 3000 personnes sur le territoire national : les abonnés des revues anarchistes, des sympathisants dénoncés et d’autres individus certainement surpris d’être rangés dans les rangs des terroristes. Cohen et sa compagne font partie de la première charrette ; dès le dimanche matin 10 décembre 1893, un commissaire encadré de quatre gendarmes les tire du lit. Le publiciste pense devoir cette arrestation à son imprévoyance ; la veille, dans des cafés – dont le Coq d’Or –, il avait oublié de cacher sa satisfaction. Les grands journaux n’avaient-ils pas annoncé que la bombe de Vaillant avait causé un véritable carnage ? De toute façon, la police n’éprouvait guère de peine à mettre la main sur la « vermine libertaire ». « Les anarchistes ne vivent pas dans la clandestinité, les groupes ne sont ni étanches ni hiérarchisés, il est facile de se procurer leurs adresses. » (102) Ceux qui ne déménageaient pas incessamment ou qui écrivaient au grand jour des articles pro-anarchistes étaient des proies aisées à capturer.

    Le législateur ne laisse planer aucun doute sur le sort qu’il convient de réserver aux « plumitifs » de l’anarchie. En effet, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse assurant « à la presse française le régime le plus libéral du monde... ne fut remise en cause qu’à l’occasion de la crise anarchiste par les fameuses lois scélérates qui, en décembre 1893, élargissaient la notion de provocation au crime par voie de presse et, en juillet 1884, déférait à la correctionnelle les articles ayant “un but de propagande anarchiste” ». (103) Les bourgeois de l’époque estimaient « que le grain semé par ces penseurs littéraires pouvait précisément faire germer de dangereuses utopies dans des cerveaux fragiles et mal préparés aux paradoxes sociaux ». (104) Un auteur comme Cohen peut donc être estimé « complice » des poseurs de bombes dont la pauvre cervelle, à la lecture des écrits subversifs, s’est remplie de folles idées. Les magistrats n’hésitent aucunement à établir ce lien : « Les anarchistes se divisent en deux catégories : les intellectuels et les impulsifs. Les premiers formant des groupes dits d’étude, font la propagande ouverte. Ils représentent l’intelligence active, l’expérience et le savoir de la secte. Ils ont pour mission, à l’aide de la parole et de la plume, de racoler les compagnons, de faire l’embauchage, de solliciter les dons en argent et de remplir la caisse. Les seconds, obéissant à l’impulsion qui leur vient des premiers, se chargent, eux, de la propagande par le fait. » (105)

    (photo © Roger-Viollet, Paris en Images)

    Dynamite.jpgIl est certain que la multiplication des brochures et autres manifestations a joué en faveur de l’action et de la violence : « Les faits les plus spectaculaires en sont bien sûr ceux qui rejouent le geste du meurtre du tyran (...) ou encore les actions collectives et secrètes, les conjurations, lorsqu’elles parviennent à terroriser un instant une région (...). Mais les plus importantes sont peut-être les mille autres actions éparses qui prennent pied sur cette violence anarchiste formellement conseillée et magnifiée par une presse qui ne cesse d’en appeler au vol, au meurtre, à l’explosif et à l’incendie. Car celles-ci montrent de quoi est faite l’efficacité réelle de l’acte de propagande. » (106) L’idée de propagande par le fait a certes fait son chemin chez les anonymes de l’anarchie, mais elle s’est en réalité traduite par des actes plus spectaculaires que sanguinaires ; d’ailleurs, le climat généré par ces anarchistes de tous poils permit à beaucoup de personnes qui n’avaient rien à voir avec ces contestataires de régler des comptes avec voisins ou connaissances. Ainsi, on put croire que la propagande journalistique avait plus d’efficacité qu’elle n’en eut en réalité. Le côté bon enfant de certains propagandistes peut laisser penser également qu’ils ont sous-estimé eux-mêmes la portée de leurs dires. (107)

    Cet état d’esprit reflétant naïveté et idéalisme est proche de celui qui habita encore quelqu’un comme Jacques Gans – communiste en Allemagne, trotskiste en France, cet admirateur de Léautaud publia entre autres un mensuel intitulé Ce vice impuni, la lecture –, des décennies plus tard et qui lui fit écrire : « Comprenez-vous à présent que lorsque je lis De Paradox (Le Paradoxe), cette ancienne revue d’Alexandre Cohen des années 1897-1898, et que toute cette période des attentats anarchistes s’ouvre devant moi, la nostalgie me gagne de ce temps où il y avait encore des hommes qui “faisaient” au lieu “d'être refaits”. » (108)

    Elisa Germaine (Kaya) Batut (1871-1959), 44, rue de Maistre, Paris, 1905 (DBNL)

    KayaBatut.gifAlexandre Cohen doit donc une nouvelle fois ses tracas à sa trop grande gouaille (propagande par la parole) tout autant qu’à ses prises de position publiées dans la presse. Cette différence importe de toute façon très peu pour lui : lors des interrogatoires, il ne cache pas son jeu. Il revendique son bon droit d’être anarchiste, ce sur quoi le commissaire aux délégations judiciaires n’entend pas discuter ; ce que ce dernier lui reproche, c’est de faire de la propagande en faveur de l’anarchisme, propagande qu’il ferait mieux d’aller faire dans son propre pays. La police avait d’ailleurs rassemblé des informations sur son compte, comme lors de la réunion du 10 juin 1892, et le tenait même, comme l’a entre autre rapporté Zola, pour un espion allemand ! Des papiers rédigés en néerlandais – et donc dignes d’être tenus en suspicion – ainsi que des boulons – ne peuvent-ils pas servir à la fabrication d’engins explosifs ? – retrouvés au domicile du journaliste plongent le policier dans de profondes réflexions. Ces boulons – simples souvenirs de la Tour Eiffel en construction ! – rendent le suspect encore plus suspect ; ils sont au potentiel artificier de Cohen ce que le tube de Mercure fut à Félix Fénéon lors du Procès des Trente. Une canne originale, cadeau de F. Domela Nieuwenhuis, cause par ailleurs autant de soucis aux démineurs. « Ah ! cette histoire de la canne en spirale prise pour un tube à bombe ! » comme s’exclamera le fondateur du Mercure de France dans une lettre à Mirbeau du 20 janvier 1894. (109)

    L’attention des autorités se porta tout autant sur le Cohen intellectuel puisque le Préfet de police interdit la représentation de la pièce Âmes Solitaires. « L’interdiction touchait moins d’ailleurs à la pièce que j’avais traduite qu’à la personnalité du traducteur qui le soir de la générale, le 15 ou le 16 décembre, était sous les verrous. » (110) Il fut sans doute difficile aux policiers de lire certains des articles les plus incisifs de l’irascible Hollandais, car publiés dans une autre langue ou sous un pseudonyme. Mais il est sûr qu’ils ont mis la main sur sa production et sur sa correspondance car Cohen regretta souvent par la suite la perte de ces documents.

    Un auteur comme Zévaco avait été condamné à plusieurs reprises à des amendes et à des peines de prison dans les mêmes années pour des allégations de même nature. Il avait par exemple défendu l’action de Ravachol dans une déclaration rapportée dans Le Figaro et avait, dans un article, « appelé au meurtre » du ministre de l’Intérieur. (111)

    Pour un homme qui ne mâche pas ses mots et qui de surcroît n’a pas de passeport français, Marianne se montre avare de douceurs. Aussi, après un séjour au Dépôt de la Préfecture de Police, après quelques interrogatoires menés par Fédé, « le commissaire aux délégations judiciaires », Alexandre Cohen est-il expulsé du territoire national. On l’amène au Havre ; il rejoint Londres en bateau où il accoste le jour de Noël à Southampton. Comme beaucoup de ses congénères, il a préféré l’Angleterre à toute autre destination. D’autant plus que feu Guillaume III a réservé une cellule à son intention en cas de retour sur sa terre natale.

    F. Fénon, par Abeillé, Procès des Trente (© Roger-Viollet, Paris en Images)

    FénéonTrente.jpgEn France, la police reste sur les dents ; la justice suit son cours. Un cours il est vrai un peu entortillé au regard du dossier Cohen. Mais le pouvoir, bien décidé à en finir, ne se soucie guère des imbroglios procéduriers. Le Président du Sénat, quelques jours après l’attentat de Vaillant, a clamé que l’on avait affaire à « une secte abominable, en guerre ouverte avec la société, avec toute notion morale (...). Le monde se trouve pour la première fois en présence d’un fanatisme jusqu’ici inconnu, ou plutôt d’une lèpre dont l’histoire ne nous a encore donné aucun exemple. » (112) Pas de pitié donc pour ces lépreux ! Les peines de mort font tomber les têtes ; les magistrats distillent en quelques années 322 ans et 3 mois d’emprisonnement (113), les lois scélérates coupent ou entaillent les mains des littérateurs anarchistes et condamnent la plupart de leurs journaux à disparaître. Veut-on des noms ? Jean Grave, Félix Fénéon, Matha, Sébastien Faure, Ledot, Châtel, P. Reclus, E. Pouget (Le Procès des Trente), M. Zévaco (condamné en 1890 et 1892), tous furent traînés devant les juges comme avaient pu l’être auparavant, pour avoir soutenu des opinions voisines, le romancier Jules Vallès (en 1868) et d’autres communards, Joseph Déjacque (en 1848 et 1851), Dejour (le gérant du Droit Social), et comme le seront plus tard, parfois en vertu des lois scélérates suivantes, les poètes Laurent Tailhade (en 1901) et Gaston Couté (en 1911 alors même qu’il est déjà décédé !), les antimilitaristes U. Gohier et G. Hervé (au début du XXe siècle), le biographe Louis Lecoin (seul Blanqui aurait fait plus de prison que lui du fait de ses idées) (114), Victor Méric (fondateur de la revue Les hommes du jour), etc. La répression s’avère donc sévère en France, mais d’autres pays n’hésitent pas non plus à adopter des worgingswetten (115). Seule l’Angleterre fait exception à la règle : « les anglais demeuraient calmes face aux anarchistes ». (116)

    Aux Pays-Bas, le juge se contente d’utiliser l’arsenal dont il dispose sans ressentir le besoin de recourir à des lois assassines. La peine de mort à été par ailleurs abolie dès 1870 et une loi de 1855 garantit le droit de réunion et le droit d’association. Il est vrai de toute façon que les libertaires s’y manifestent moins violemment que sur les terres de Proudhon. Surtout, l’article 227 de la Constitution rédigé en 1815, modifié lors de la révision constitutionnelle de 1848 puis devenu l’article 7, dissuade les magistrats de faire trop de zèle. Comme ailleurs, la liberté de la presse est limitée par certaines dispositions légales, notamment celles prévues dans le cadre de la protection de la sûreté de l’État, de l’ordre public, des bonnes mœurs, des droits et de la renommée des individus. Les autorités ne s’en laissent cependant pas pour autant conter au milieu du XIXe siècle : les premiers propagateurs des idées démocratiques, les « radicaux » Meeter, Rienks, Bavink, De Haas, Van Gorcum, De Vries et Van Bevervoorde, fréquentent dans les années quarante les prisons bataves, le plus souvent pour ne pas s’être montrés assez « courtois » envers le roi. À plusieurs reprises, ils doivent renoncer à faire paraître leurs publications. Après 1851, les dernières velléités anti-orangistes éteintes et le danger révolutionnaire écarté, les magistrats retournent à des affaires autres que politiques. (117)

    Choix de textes d'A. Cohen par Max Nord

    Andersdenkende.jpgL’anarchisme restant pour sa part un phénomène relativement marginal avant la fin de « l’avant siècle », la répression frappe les hommes qui gravitent autour du journal Recht voor Allen, que ceux-ci se réclament de l’individualisme le plus extrême ou d’une branche autoritaire. Avant de s’en prendre aux « blasphémateurs » du nom du Roi, le pouvoir se contentait de favoriser le prononcé de sanctions professionnelles (souvent à l’encontre d’instituteurs) ou adoptait des mesures préventives (en 1883, à l’occasion de l’ouverture des États-Généraux, des mesures furent prises par crainte d’un coup d'État des socialistes). (118) Mais il est remarquable qu’en 1885, année durant laquelle le mouvement socialiste gagne sensiblement du terrain et alors même que les idées plus radicales se font jour à travers les premières revues libertaires ou dans les colonnes de Recht voor Allen, la justice montre le bout de son nez. « Les poursuites contre les socialistes commencèrent à augmenter », raconte Bymholt à propos du mouvement en 1884 (119) et la tendance ne fait que se confirmer l’année suivante : « Jusqu’alors, la justice ne s’était pas préoccupée du mouvement socialiste, exceptés quelques procès de colporteurs et l’affaire Liebers. Mais en cette année 1885, les choses changèrent. » (120)

    En réalité, si les magistrats fouettaient d’autres chats, le pouvoir, lui, tenait à l’œil les socialistes purs et durs et ce depuis le début des années 1870. Il n’était guère difficile évidemment de passer la presse politique au crible (De Toekomst, puis Recht voor Allen et De Anarchist). Dans les années 1880, le gouvernement s’inquiète un peu plus : à l’étranger, de nombreux trônes commencent à vaciller. Sanctionner les auteurs qui égratignent la dignité royale contribue à prévenir tout fâcheux dérapage : l’encre déversée ne doit en aucun cas encourager quelque individu à mettre la vie du roi ou de l’un des membres de son entourage en danger. Et malgré les craintes éprouvées, les gouvernants hollandais savent très bien que le combat politique ne conduit que très rarement dans leur pays au bain de sang. Aussi agissent-ils au coup par coup, de manière prudente, exerçant juste la pression nécessaire pour désamorcer toute tentative de subversion. Des fonctionnaires, infiltrés dans les rangs du S.D.B., procurent des rapports aux ministres sur les activités des républicains. Ils assistent en particulier aux fréquentes réunions, comme celles tenues dans la fameuse salle de La Haye, la Walhalla. Alexandre Cohen évoque par exemple la personnalité de l’ancien policier Nies qui montait parfois à la tribune lors de manifestations du S.D.B. jusqu’au jour où il devint clair qu’il n’avait pas rompu les liens avec ses supérieurs (121). C’est Cohen lui-même qui mit un coup d’arrêt aux activités d’un de ces espions à la fin de l’année 1887. En consultant son dossier lors du procès pour crime de lèse-majesté, il mit en effet la main sur un rapport négligemment glissé au milieu des documents rassemblés par l’inspecteur de police. Ce rapport comportait des informations sur Cohen et plus particulièrement sur ses propos tenus lors d’un récent discours. Cette découverte et la publicité qu’il en fit encouragèrent le mouchard à cesser ses activités. (122) Malgré cet amateurisme et ces quelques bévues, les magistrats étaient décidés à agir avec plus de détermination « mais ils voulaient se fonder sur de solides arguments juridiques et compter sur l’assurance d’une condamnation. Auraient-ils engagé une affaire non étayée en droit, le risque était de voir l’autorité perdre la face et les socialistes gagner en propagande ». (123) Et de fait, rares furent les inculpés qui s’en tirèrent sans goûter à l’humidité des cellules.

    Attentat de Vaillant (photo © Roger-Viollet, Paris en Images)

    VaillantBombe.jpgÀ côté des journalistes poursuivis pour crime de lèse-majesté (F. Domela Nieuwenhuis, Goud, Cohen, Van Ommeren, Liebers, Belderok, Van der Laan, Visser...), d’autres auteurs plus ou moins confirmés laissèrent leurs noms dans les annales judiciaires. Ainsi, le menuisier C.J. van Raay, devenu typographe, orateur et collaborateur de Recht voor Allen fut poursuivi en raison de quelques vers de son cru estimés infamants pour la personne des députés. Le chansonnier ne s’en tira pas trop mal, condamné qu’il fut à une amende de 25 florins et aux dépens. (124) Un poème effrayait moins les représentants de la bourgeoisie qu’une bombe artisanale. À la fin de cette même année 1885, une procédure fut engagée contre le libraire d’Amsterdam J.A. Fortuyn – lui qui avait justement introduit Cohen dans les cercles socialistes (125) – une des personnalités les plus en vue du moment, orateur talentueux qui se mêla un peu trop d’échauffer les chômeurs en un temps où l’économie néerlandaise n’était guère florissante. Le libraire, à peine sorti de prison, y fut reconduit en 1886 pour avoir distribué un tract lors des journées du palingoproer (126), tract contenant des termes estimés intolérables. Son camarade P. van der Stad, collaborateur de Recht voor Allen, le rejoignit. Les deux hommes purgèrent plusieurs mois de préventive avant que le Hoge Raad ne leur donnât raison. Trois ans plus tard, les deux mêmes récidiveront. À J.A. Fortuyn, on reprochera d’avoir dit en public à propos de la Révolution française : « Vous aussi travailleurs, vous devez aujourd’hui résister de cette façon contre les lois de l’État et détruire celui-ci. » Le tribunal ne s’inclina pas devant les désirs du procureur du Roi et J.A. Fortuyn fut laissé en liberté. Van der Stad, par contre, retourna passer deux mois derrière les barreaux pour avoir, au cours d’une réunion, traité tous les députés – à l’exception bien entendu du seul élu socialiste F. Domela Nieuwenhuis – de schoeljes (crapules).

    1887 est l’année noire des socialistes néerlandais ; une pluie de peines s’abat sur bon nombre d’entre eux (F. Domela Nieuwenhuis, Cohen, Belderok, Croll, Baye, Bennink, Büchner, de Ruyter, un poète condamné à quatre mois de prison pour avoir, dans un chant adressé à F. Domela Nieuwenhuis, décerné au baron Tour van Bellinchave, ministre de la justice, le titre de lage koningsknecht (lèche-botte du Roi)). (127)

    Alexandre Cohen en 1906 (DBNL)

    Cohen1906.gifL’année 1888 s’annonce elle un peu plus calme au plan des rapports avec la justice. Certaines affaires suivent leur cours comme les procès Cohen et de Ruyter. Par la suite, deux rédacteurs auront droit tout de même à leur part de pain noir : J.K. van der Veer (De Toekomst) et A. van Emmenes (Voorwaarts). Le socialisme franchira un nouveau pas ensuite et les publications ne seront plus guère la cible des juges. Par exemple, B. Bymholt publie sans rencontrer de difficultés sa Geschiedenis der Arbeidersbeweging in Nederland (Histoire du mouvement ouvrier aux Pays-Bas) en 1894 alors même qu’il prend en tant que militant la défense des socialistes et présente les textes et les éléments qui ont coûté des mois ou des années de liberté à ses amis au cours de la décennie précédente. Mais le pouvoir allait recourir à un autre artifice juridique pour contrecarrer les projets et avancées des socialistes. Déjà en 1884, le juge avait refusé de reconnaître la personnalité juridique du S.D.B., ce qui entravait la liberté de réunion. L’achat du bâtiment Walhalla avait permis de déjouer cette mesure, exceptionnelle dans la jurisprudence hollandaise. En 1894, les libertés d’association et de réunion sont mises de nouveau à l’épreuve puisque cette fois, le S.D.B. est purement et simplement interdit. Cette interdiction ne gêna guère les socialistes qui, sentant la nécessité de créer une structure au niveau national, fondèrent la même année le S.D.A.P. (128)

    Il apparaît difficile à l’évocation de ces procès de tirer de réels enseignements. Souvent, le condamné doit plus sa malchance à un concours de circonstances qu’à une politique bien définie ou rigoureusement suivie. Sans aucun doute, les autorités hollandaises et les autorités françaises (dans un contexte totalement différent) ont-elles frappé fort et mis le holà à la dérive libertaire. L’anarchisme, sans rompre, plie alors : il connaîtra encore de beaux jours aux Pays-Bas vers 1900 sous la forme du syndicalisme révolutionnaire, de l’anarchisme chrétien ou tolstoïen ou encore des expériences des coopératives et des colonies. De même en France, il suivra des voies moins radicales.

    Affiche de Jules Chéret

    Cheret2.jpgDans les deux pays, les grands noms des arts et de la littérature semblent épargnés par la généreuse distribution de peines. Dans les deux pays aussi, des voix s’élèvent pour que les magistrats ne manient pas le glaive de la même façon envers détenus politiques et criminels de droit communs. (129) Quant aux poursuites, le hasard a beaucoup joué et dans ce rayon de l’histoire de la répression, les moins bien dotés en esprit ont une fois de plus payé plus que les autres. Cet arbitraire se comprend mieux à la lumière de ces lignes, les premières écrites par un avocat, les autres par un écrivain : « En matière de politique on peut affirmer que, dans la majorité des cas, la justice est faussée. On a pu dire justement que lorsque la Politique entre dans le prétoire c’est à la justice d’en sortir. Cette vérité conserve sa valeur sous tous les régimes et les démocraties n’ont sur ce point rien à envier aux monarchies les plus absolues, s’il en reste » ; et : « Des attentats, l’on remonta donc à la doctrine ; l’on découvrit Jean Grave et Sébastien Faure. On n’alla pas plus loin. Ni Gustave Kahn, ni Paul Adam ou Henri de Régnier ne furent trouvés suspects. C’est qu’on n’a pas coutume chez nous de prendre au sérieux l’homme de lettres. On le lui fait voir tous les jours ; les écrivains qui font l’apologie de la désertion ou de l’anarchie gagnent en général la gloire et l’Académie française, tandis que l’on fusille obscurément leurs disciples. Et l’on sait que la bourgeoisie la plus sévère sur le chapitre des mœurs laisse paisiblement chanter à ses filles des romances lascives où il n’est guère question que d’étreintes et de langueurs. Tel est l’un des effets de la doctrine audacieuse dont j’ai parlé ; c’est un effet plutôt timide, dont on ne sait trop s’il honore ou déshonore l’écrivain. Car on invite d’abord le poète à créer son monde à soi ; et quand il l’a bien créé, le lecteur découvre que ce monde est sans rapports avec le nôtre ; ce n’est plus du même amour qu’il s’agit, ni de la même anarchie (et tant pis pour la jeune fille naïve ou le déserteur qui s’y laisse prendre). La seule loi qui eût permis d’atteindre, au delà des dynamiteurs, les théoriciens de l’anarchie, se vit donc flétrie, sitôt votée, du nom de loi scélérate, qui la fit tomber assez vite en désuétude. Elle avait cependant permis un procès. Ce fut le fameux procès des Trente. » (130)

    Ce fameux procès – qui clôt les grands jours de l’anarchie et enraye « l’épidémie criminelle qui avait un moment terrifié la capitale » (131) – fut donc l’occasion de rendre les théoriciens et manieurs de plume de l’anarchie à la liberté et de condamner quelques pauvres bougres pour vol. La grande période de l’anarchie s’était ouverte à Lyon avec le procès des 66 le 8 janvier 1883, elle se referme entre les 5 et 12 août 1894 à l’occasion de ce procès durant lequel, en l’absence de public, juges et inculpés manient la riche gamme de clichés inhérents à cette faconde répressive. Le jury de la Seine vit défiler, en guise de témoins, le sel et le poivre du gratin littéraire de la capitale : Stéphane Mallarmé venu soutenir Félix Fénéon, Bernard Lazare et Frantz Jourdain épauler Jean Grave et l’inévitable Octave Mirbeau qui, bravant les nouvelles lois, s’était dans les mois précédents déchaîné « dans Le Journal – un quotidien à très forte diffusion –, contre les atteintes aux libertés démocratiques, contre l’absurde amalgame qui consiste à mettre dans le même sac terroristes et intellectuels anarchistes ». (132) Ce même Mirbeau, grâce auquel Alexandre Cohen doit d’avoir laissé une petite trace de son passage dans le champ littéraire français. (133) Car Cohen est une fois de plus de la partie. Expulsé de France à la demande du Préfet de police Lépine, exilé et résidant à Londres, il est pourtant un des trente accusés, suite au micmac de procédure. Persona non grata en France, il ne peut venir se défendre alors qu’il en fait la demande. De plus, les faits que les magistrats ont retenus contre lui sont antérieurs à la date d’adoption des lois scélérates. Et si son nom ne figure pas toujours dans les ouvrages qui relatent ce procès, il écope bel et bien et par défaut d’une peine de 20 ans de travaux forcés (prononcée le 30 septembre). Voilà entre autres choses ce dont accouche cette « comédie », cette « vaste fumisterie » (134), ce procès « pour affiliation à une association de malfaiteurs ». Les littérateurs sortent libres le 12 août au soir, attendus par une foule immense regroupée sur le quai de l’Horloge ; les sales gueules écopent quant à elles, tout comme les absents, de quelques années de bagne.

    Sans qu’il ait donc pu dire un mot, Cohen se retrouve à la fois du côté des humbles et du côté des intellectuels, lui le bel esprit auquel on veut rattacher un lourd boulet. Et si, malgré cette condamnation, il ne mettra jamais les pieds à Cayenne, un autre « pénitencier » va refermer ses portes sur lui : Londres. (135)

    RavacholArrestation.jpg

    arrestation de Ravachol, d'après un dessin d'Henri Meyer

    (photo © Roger-Viollet, Paris en Images)

     

     

    (98) Lettre à F. Domela Nieuwenhuis, 15 novembre 1893. Cet attentat anarchiste dans un théâtre de Barcelone avait fait des dizaines de victimes.

    (99) Lettre à F. Domela Nieuwenhuis, 9 avril 1894.

    (100) M. Garçon, La Justice Contemporaine 1870-1932, Grasset, Paris, 1933, p. 225.

    (101) Ibid., p. 235-236.

    (102) A. Nataf, op. cit., p. 128.

    (103) P. Albert, op. cit., p. 68-69.

    (104) M. Garçon, op. cit., p. 241, à propos du procès contre Jean Grave devant la Cour d’Assise le 26 février 1895 ; Grave fut à cette occasion condamné à deux ans d’emprisonnement pour une réédition de son livre La Société mourante et l’Anarchie.

    (105) Acte d’accusation du Procès des Trente, cité par M. Garçon, op. cit., p. 241-242.

    (106) A. Pessin, op. cit., p. 136.

    (107) Voir Ibid., p. 137.

    (108) J. Gans, op. cit., p. 94. Dans le même ordre d’idée, on peut lire les p. 30-33 des mémoires d’un autre homme de lettres néerlandais, qui fut pour sa part maurassien, J. Greshoff, Afscheid van Europa. Leven tegen het leven, Nijgh en Van Ditmar, Den Haag-Rotterdam, 1969.

    (109) Voir Lettre d’A. Cohen à F. Domela Nieuwenhuis, 9 janvier 1894. Voir aussi O. Mirbeau sur Fénéon dans Le Journal, 29 avril 1894. Quant à la lettre d’A. Valette à O. Mirbeau du 20 janvier 1894, elle comporte aussi ces phrases à propos de l’expulsion de Cohen : « De tels faits sont non seulement iniques, mais ridicules, et il est bon qu’une voix autorisée le crie. Madame Cohen, d’abord passée en Angleterre, puis revenue pour arranger les affaires de Cohen, est venue ici l’autre jour : elle affirme qu’il n’y avait dans les papiers de Cohen rien de véritablement compromettant. Tout à été grossi et dénaturé. » (Cf. Octave Mirbeau, Correspondance générale, t. 2, (éd.) Pierre Michel & Jean-François Nivet, L’Âge d’Homme, Paris, 2005, p. 819)

    (110) A. Cohen, op. cit., 1976, p. 218.

    (111) T. Maricourt, Histoire de la littérature libertaire en France, Albin Michel, Paris, 1990, p. 148.

    (112) Cité par A. Pessin, op. cit., p. 37.

    (113) J. Romein, Op het breukvlak van twee eeuwen, Querido, Amsterdam, 1976, p. 189. Voir aussi la liste des anarchistes exécutés que dresse Cohen dans un de ses articles, dans A. Cohen, op. cit., 1980, p. 184.

    (114) Voir T. Maricourt, op. cit., partie 3, chap. 5.

    (115) J. Romein, op. cit., 1976, p. 206. Le terme peut s’entendre comme lois scélérates, littéralement lois pour étrangler, pour serrer le cou.

    (116) Louise Michel, Souvenirs et aventures de ma vie, éd. Daniel Armogathe, La Découverte, Paris, 1983, p. 225. Relevons à propos de Louise Michel qu’Alexandre Cohen, qui l’a côtoyée à Paris et à Londres, lui consacre une longue page élogieuse dans In Opstand (p. 163-164) : « Louise Michel, c’était la Révolte ! Au Moyen Âge, elle aurait été une sainte. » Le titre In Osptand (En révolte) est un hommage à cette femme « noble, candide ».

    (117) M. J. F. Robijns, Radicalen in Nederland (1840-1851), Universitaire Pers, Leiden, 1967.

    (118) B. Bymholt, op. cit., p. 325.

    (119) Ibid., p. 330.

    (120) Ibid., p. 345.

    (121) A. Cohen, op. cit., 1976, p. 137-138.

    (122) J. Charité, op. cit., p. 46-47.

    (123) Ibid., p. 164.

    (124) B. Bymholt, op. cit., p. 348-349.

    (125) A. Cohen, op. cit., 1976, p. 127.

    (126) Le palingoproer : nom donné à une émeute (littéralement « émeute de l’anguille ») qui se déroula dans un quartier populaire d’Amsterdam les dimanche 25 et lundi 26 juillet 1886 suite à l’intervention de la police pour faire arrêter un jeu (« palingtrekken », jeu consistant à essayer de se saisir d’une anguille suspendue à une ficelle au dessus d’un canal). Le lundi, bannières noires et rouges sont sorties. Les forces de l’ordre tirent dans la foule, tuant plus d’une vingtaine de personnes.

    (127) Voir sur ces différents épisodes B. Bymholt, op. cit., p. 423-482.

    (128) J. A. O. Eskes, Repressie van politieke bewegingen in Nederland: een juridisch-historisch studie over het Nederlandse publiekrechtelijke verenigingsrecht gedurende het tijdvak 1798-1988, Tjeenk Willink, Zwolle, 1988, p. 46-55.

    (129) Voir, pour les Pays-Bas, par ex. B. Bymholt, op. cit., p. 444. Le Procès des Trente illustre de façon caractéristique cette distinction.

    (130) M. Garçon, op. cit., p. 652 ; J. Paulhan dans la préface à F. Fénéon, op. cit., p. 17.

    (131) M. Garçon, op. cit., p. 244.

    (132) P. Michel et J. F. Nivet, préface à O. Mirbeau, Combats Politiques, Séguier, Paris, 1990, p. 15.

    (133) Voir H. Juin, op. cit., 1992, p. 258-259 ; P. Michel et J. F. Nivet, préface à O. Mirbeau, op. cit., p. 15 ; T. Maricourt, op. cit., p. 213.

    (134) Louise Michel, op. cit., p. 226 et p. 229.

    (135) Relevons, à propos de Cayenne et des anarchistes  que Cohen, alors qu’il est de retour aux Pays-Bas après son exil londonien, recevra un jour la visite de Placide Schouppe, célèbre voleur anarchiste qu’il a connu alors qu’il habitait rue Lepic. Il consacre à l’importun quelques passages à la fois tristes et comiques.